Lettre ouverte signée par le député Louis Plamondon :
C-18, Meta et l’information locale et
régionale
Les utilisateurs et utilisatrices de Facebook ont pu le
découvrir récemment : non seulement les nouvelles provenant
des sites de médias n’y sont plus accessibles, mais les
pages officielles de ces mêmes médias ont été suspendues et,
dans certains cas, les accès de ses administrateurs,
retirés. Le géant Google a également agité une menace
identique. D’aucuns pointent du doigt la prétendument inique
loi C-18 (toujours pas en vigueur et dont les modalités
réglementaires restent à définir), qui oblige les
multinationales du numérique à verser une part du gâteau
($$$) aux médias auxquels ils « empruntent » (pardonnez-moi
l’euphémisme…) les contenus.
Certains, comme les conservateurs fédéraux (qui n’en sont
pas à une bassesse près), accusent C-18 d’être coupable de
censure. Or, cette privation de l’accès à l’information est
plutôt une gracieuseté des multinationales du numérique, pas
de la Loi sur les nouvelles en ligne. Que des corporations
ayant pour unique but le profit utilisent des moyens odieux
pour faire reculer une décision démocratique, dûment votée
par des élus détenant un mandat, cela porte un nom : du
chantage.
De l’importance de l’information locale
Parce que l’espace médiatique national est nécessairement
saturé, Radio-Canada et TVA ne couvriront pas la nouvelle
cantine qui ouvre ses portes à Nicolet, ou l’usine qui ferme
les siennes à Saint-François-du-Lac. En revanche, les
journaux et radios de la région le feront, comme ils vous
mettront aussi en garde contre un danger que vous pourriez
courir dans votre quartier.
Même son de cloche sur le plan politique : l’annonce de la
mairesse de Bécancour ne sera pas jugée d’intérêt pour les
Gaspésiens et Gaspésiennes, et ne se trouvera donc pas dans
Le Devoir, et avec raison. Il faudrait par ailleurs qu’un
scandale municipal soit fort important pour que le bureau
d’enquête du Journal de Montréal décide d’envoyer une équipe
sur place pour y fouiller les poubelles. Mais, fort
heureusement, des canaux locaux se chargent de creuser la
question et de relayer l’information. Notre région n’a de
surcroît jamais démérité en matière de journalisme de combat
: plusieurs grands journalistes ont aiguisé leur plume dans
les pages d’ici.
Le pourquoi d’une loi sur les nouvelles en ligne
Les multinationales du numérique ont connu leur essor à
partir de la deuxième moitié des années 2000. Or, de 2008 à
2021, ce sont 450 médias d’information canadiens qui ont
fermé leurs portes. De 2008 à 2020, les revenus des journaux
canadiens sont passés de plus de 4,6 milliards de dollars à
moins de 1,5 milliard en 2020. Pendant cette même période,
Google et Facebook ont vu leurs revenus canadiens combinés
passer d’un peu plus de 1 milliard de dollars à plus de 8
milliards.
De son côté, Meta a généré en 2021 un chiffre d'affaires de
193 millions $ au Canada grâce aux contenus journalistiques.
Au Canada, Facebook fait entre 35 et 58 fois plus d’argent
avec les médias qu’il n’en verse à ces derniers. Il est donc
clair que les corporations du numérique s’enrichissent grâce
aux médias canadiens mais leur offre très peu en retour.
Les géants du numérique font bien entendu partie du paysage
et sont là pour rester. On ne peut faire fi de cette
réalité. Or, si on ne contrôle pas la marée, on peut
néanmoins construire des digues fluviales. C’est l’objectif
derrière la loi C-18, qui devrait pouvoir offrir un peu
d’oxygène aux artisans de l’information nationale, régionale
et locale. Étant donné qu’il est peu risqué de prédire que
Meta et Google n’embaucheront jamais des journalistes afin
d’assurer une couverture de l’actualité des régions du
Québec, on comprend l’importance d’un cadre légal imposant
des pratiques justes pour faire survivre les acteurs
essentiels de l’information.
C’est le choix qu’a fait l’Australie. Or, depuis l’entrée en
vigueur d’une loi, similaire dans sa structure mais
divergente dans le détail à ce que le Canada vient
d’adopter, les statistiques indiquent une importante hausse
de la création d’emplois dans le milieu journalistique. La
loi australienne, malgré ses imperfections, atteint son but.
Que faire?
Revenons-en maintenant à l’actuel chantage provenant de
Meta. Il faudra s’armer de résilience, et ne pas céder à la
pression. Les multinationales du numérique sont nerveuses,
car la planète entière regarde ce qui se passe au Canada et
s’apprête à emboîter le pas. Outre l’Australie, on peut
noter que la Californie, où la plupart des corporations en
question ont leurs sièges sociaux, débat actuellement d’une
loi ayant encore plus de dents que la nôtre. En Europe, des
pays tels que la France, l’Espagne et l’Autriche ont déjà
des taxes d’affaires sur les géants du numérique depuis
plusieurs années. À l’échelle de l’Union européenne (UE),
une réglementation est loin d’être impossible si tant est
que la vice-présidente de la Commission européenne pour une
Europe adaptée à l’ère numérique ait publiquement fait
l’éloge de notre loi C-18. Des accusations anti-monopoles
ont aussi été portées par l’UE et les États-Unis contre
Google.
Le marché captif des multinationales sera de moins en moins
imposant et soumis à ses diktats, et son rapport de force
dans le bras de fer qui l’oppose aux parlements de la
planète entière est appelé à s’amenuiser.
J’invite par ailleurs les médias locaux et régionaux à être
solidaires les uns des autres et à éviter d’investir un seul
dollar dans Facebook, tant et aussi longtemps que nous ne
serons pas sortis de cette impasse. On ne finance un
adversaire déterminé à nous écraser. Mon bureau de
circonscription, comme ceux de mes collègues du Bloc
québécois, feront de même. J’incite également les annonceurs
à adopter des stratégies publicitaires qui prioriseront les
médias locaux et régionaux. C’est à nous tous d’agir.
Louis Plamondon
Député de Bécancour – Nicolet – Saurel, Bloc Québécois |